Au cours de la semaine passée, j’ai partagé sur ma page personnelle (même si je l’ai fait en « public ») un souvenir précieux et mélancolique. Quelques jours plus tard, voilà qu’il me hante encore à sa façon, et j’aimerais en garder la trace, ici. J’ai donc décidé de le partager avec vous, même s’il s’agit-là d’un aspect un peu plus privé. Malgré tout, je pense qu’il pourrait vous plaire…
Depuis, l’idée de partager ainsi des souvenirs marquants me trotte dans la tête. Je ne sais pas s’il s’agira d’autres portraits de fantômes, ici, ou d’un nouveau projet dans son entièreté. J’y réfléchis, il faut que l’idée fasse son chemin – et mon esprit est un peu trop embrouillé en ce moment, après avoir été malade de longues journées, et en plein milieu d’une phase d’écriture difficile (la fin d’un roman).
Je vous laisse donc avec le portrait d’un premier fantôme…
En parcourant les mots de mon amie Magalie, je me retrouve à faire moi-même un voyage dans le temps, au gré de ces histoires qui nous marquent et que les âges peinent à jamais effacer tout à fait. Je la remercie pour cette histoire découverte des jours plus tard, d’un fantôme du passé laissant encore sa marque dans son présent, de cet instant volé où des mots font basculer beaucoup de certitudes. J’y ai abandonné un petit cœur pour avouer combien j’ai aimé suivre ce court souvenir, puis mon cerveau a fait tout le reste. Une poignée d’heures plus tard, voilà qu’il pousse un souvenir similaire jusqu’à la surface de ma conscience, un de ces instants volés où tout est possible, un de ces moments décalés dont l’on ressort grandi, changé, ému.
Pour ma part, mon fantôme porte un prénom, Fabien. Un prénom que vingt années n’a jamais réussi à effacer de ma mémoire. A cette époque, j’ai tout juste dix-huit ans, je pars vivre dans une autre ville, en compagnie d’une amie à qui je tiens toujours, pour quelques mois seulement avant que la vie ne m’emmène ailleurs. Tout juste sortie du lycée, je rêve de voyages, de grands horizons. Je ne me souviens plus comment, mais je débute alors une correspondance avec Fabien. Une correspondance écrite, à la main, à l’époque où internet ne nous avait même pas encore atteints. Des lettres à cœurs ouverts, de celles que l’on attendait alors pendant des jours, pour les dévorer trop vite, même si elles remplissaient chaque fois des pages et des pages.
Je ne sais plus comment le destin m’a permis de croiser son chemin, ni même pourquoi j’ai ainsi eu la chance d’être la destinataire de ces courriers. Mais vingt ans plus tard, je les possède encore, même si je ne les lis que rarement, pour m’en épargner la morsure douce-amère. A travers les mots, nous nous livrons alors des histoires de tous les jours, des anecdotes, de petits morceaux de nos vies respectives, qui débutent alors seulement. Puis peu à peu, des sentiments plus profonds. Il étudie le droit, moi l’anglais. Il vit à Paris, que j’ai quitté pour la Normandie. Quelque chose nous lie, là, pendant quelques mois. Une chose qui m’ouvre les yeux sur une autre, jusqu’alors incertaine : oui, l’amour existe comme dans les livres. Oui, on peut recevoir de ces lettres qu’on ne pense croiser que dans un roman. Et oui, à cet instant, à cette époque, j’ai eu l’honneur, le privilège, de les inspirer.
Nous nous rencontrons, un peu en décalage. Une seule fois, je crois. Nous partageons un repas, puis un train me le vole de nouveau. Je n’ai pas été moi, cette implacable timidité, la plaie de toute une existence, m’a volé tous mes mots, toute ma confiance en moi, déjà si maigre à l’époque. Les liens se distendent, puis se rompent.
Mon chemin continue, sinueux et un peu hésitant. Je quitte l’anglais, la Normandie, et ce souvenir précieux, pour rejoindre Paris. Je me tourne vers un autre domaine, je décroche un diplôme, je me nourris toujours de mots, mais aussi de musique, de rencontres, de lumière. Je pars, loin. Passer les premiers mois aux Etats-Unis, qui se mueront en années. Et là-bas, trois ou quatre ans plus tard, une lettre me trouve. Une enveloppe dont je reconnais l’écriture en un battement de cœur. Une lettre de Fabien, qui lui non plus ne m’oublie pas.
Ma mémoire se trouble un peu, je ne me souviens plus comment nos routes ont fini par se séparer. Sans doute la distance ne nous a pas aidés dans ces retrouvailles, ou bien celle-ci venait-elle de moi ? La vie lui a sans doute offert quelqu’un à la hauteur, de ses attentes ou de ses envies, quelqu’un de réel et constant, à qui offrir ses mots si merveilleux. Mais j’emporte encore aujourd’hui avec moi une part de lui, et s’il m’arrive de douter parfois de la bonté des âmes, de la beauté des lettres, alors je me replonge dans ses mots à lui, ces sentiments précieux et poignants dont les lectures m’ont empli le cœur d’espoir, de vie.
Merci au Fabien de cette époque pour ces longs instants passés face à la page blanche, pour la recouvrir de si beaux souvenirs. Et au Fabien d’aujourd’hui, où qu’il soit, je te souhaite d’avoir trouvé un bonheur à la hauteur de celui que tes lignes ont fait naître en moi, et que je cultive encore à ce jour avec révérence.