Broken Souls – Tome 3, Ancile

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Malgré leurs différends, les vivants doivent s’unir pour faire face aux attaques de puissantes âmes perdues…

Ancile a révélé les lourds secrets de son passé à Calame, espérant y trouver une forme de rédemption, ou au moins, de pardon.

C’est tout ce qu’il pourra obtenir : ses sentiments pour le jeune Rabatteur ne sont plus partagés. Il suffit de voir la façon dont Calame veille Petrichor, inlassablement. Car depuis qu’il a été presque noyé dans les eaux sombres d’une église maudite, Petrichor demeure inconscient, flottant quelque part entre la vie et la mort.

Des limbes où Ancile a le sentiment d’errer lui aussi, entre un passé qui l’enchaîne et un avenir incertain. Pourtant, il leur reste une ultime enquête à mener pour lever enfin le voile sur le complot qui se trame chez les âmes perdues… Parviendront-ils à sauver le monde des vivants de cette terrible menace ?

Format : Roman
Style : 
Horreur, Fantastique
Éditeur : Milady, collection Emma
Parution : 11 Décembre 2019

Découvrir le début du premier chapitre

Un sursaut me tire du sommeil, accompagné d’un cri. Je crois d’abord qu’il s’agit du mien, avant de me rendre compte qu’un oiseau m’a sorti de ce cauchemar récurrent. Ses piailleries insistantes résonnent encore à la fenêtre, déchirant l’air lourd du quartier avec une régularité dérangeante. Une seconde me suffit à me rappeler où je me trouve, mais j’ai le sentiment qu’elle s’éternise. Au cours de ces quelques instants de flottement, je me sens vidé de tout, souvenir ou émotion, malgré mon cœur qui bat trop fort, mes tempes nimbées de sueur, ce souffle qui me vient en saccades. Comme chaque fois que je m’éveille, depuis ce retour à la vie, cette renaissance.

Le sentiment intime de ne pas être à ma place.

Enfin, après cette minute d’hésitation où mon âme balance entre consternation et crainte, elle se rapproprie mon corps. Les sensations me reviennent, ou plutôt elles m’atteignent enfin. Je sens mon sang cogner contre mes tempes, la trace humide de ma transpiration sur le dos de ma main lorsque je l’essuie d’un revers. Mon être se calme, se recentre. La vision me revient.

La pénombre de la chambre n’est due qu’aux lourds rideaux tirés devant les fenêtres. À travers eux, je sens brûler le soleil du désert, qu’aucun air ne vient adoucir. Une chaleur sèche qui m’assèche déjà la gorge. Je l’accueille, m’en délecte ; grâce à elle, je me sens vivant encore quelques instants.

Une courbature me vrille la nuque, j’ai dormi de travers. Le fauteuil déglingué où je me suis assoupi ne promettait rien d’autre qu’une nuit agitée, même ses vieux ressorts m’ont brisé le dos. Malgré les protestations de mon corps, je me lève. J’entends craquer un genou, puis une vertèbre quand je m’étire, les mains au creux des reins, tel un vieillard. Mes muscles endoloris me font payer cher ce couchage de fortune, pourtant je ne m’en plains pas. Parce que ça pourrait être moi, allongé sur l’unique lit de la pièce, avec un teint de cendre et des gouffres autour des yeux. Les cernes de Pietro lui dévorent le visage. Cela ne fait qu’une semaine qu’il repose ici, mais je jurerais qu’il s’est émacié. J’essaie de me convaincre qu’il s’agit d’une illusion. En vain.

De l’autre côté du lit, Carl veille. Lui aussi a écopé d’un fauteuil antédiluvien, pourtant pas une fois je ne l’ai entendu se plaindre. Même en collant son siège auprès du matelas, il n’effleure qu’à peine les doigts de son amant, mais ce geste vaut toutes les déclarations. S’il avait eu la place, je sais qu’il aurait dormi près de lui. Personne ne l’en aurait empêché, surtout pas moi.

Mes yeux me brûlent. J’y porte une main distraite, puis regarde sans comprendre l’humidité au bout de mes doigts. Quelques secondes me sont nécessaire pour saisir que je pleure. Le chagrin ne m’affecte pas autant que la rage ou la peur. Il me faut plus de temps pour que cela m’atteigne. J’aurais pensé ressentir autre chose en les voyant, la jalousie de découvrir Carl si épris d’un autre homme. Seul cet accablement désabusé me submerge par vagues incessantes, depuis que j’ai aidé Carl à s’enfuir de cette abominable église pour retrouver Pietro. Dans la voiture, je n’ai eu de cesse de les observer à la dérobée dans le rétroviseur, tâchant de faire le tri dans le bouillonnement de mes émotions qui affleuraient à la surface de ma conscience, sans que je n’arrive à les ressentir tout à fait.

Puis n’est restée que cette tourmente qui par à-coups me fend le cœur.  « Une âme en peine », selon l’expression, et jamais elle n’aura été plus vraie.

Pour échapper à cette tempête en approche, je quitte la chambre à pas lents. Je me réhabitue au pantin qu’est devenu mon corps, coordonnant mes gestes et mes pensées. La porte s’ouvre sans un bruit ; je m’attendais à l’entendre grincer, pour coller à l’ambiance des lieux. Quand je la referme derrière moi, je prends un instant pour m’y adosser, le regard perdu dans ce couloir qui me reste inconnu.

Je peine à former de nouveaux souvenirs, comme si mon âme craignait qu’ils puissent effacer les anciens. Chaque fois, je redécouvre cet endroit avec un regard d’ingénu, avant que ne s’immisce dans ma mémoire ce sentiment de déjà-vu qui me permet de comprendre que je le connais déjà.

Les lattes du vieux plancher s’étendent jusqu’à la porte entrouverte du salon. La peinture s’effrite sur les murs, du moins ce qu’il en reste. Le gauche longe encore la pièce adjacente, maintenu en place par un semblant de plafond. Les choses se gâtent sur ma droite, où les briques du mur ont cédé la place à l’imposante branche d’un arbre qui me barre à moitié le passage. Au-delà, à travers le plâtre effrité, j’aperçois le sable à perte de vue, recouvrant presque tout à fait la maison qui, autrefois, faisait face à celle-ci.

J’enjambe la branche avec précaution, remerciant en silence mes pieds de me répondre aujourd’hui. J’écarte la porte du salon, puis la referme derrière moi comme pour mieux bannir le souvenir de ce paysage désertique, ou peut-être celui du couple endormi à l’abri du monde.

Rien ne décore les murs de ce salon, où trône seulement un canapé tiré des mêmes affres du temps que les fauteuils. Je traverse la pièce pour rejoindre la petite cuisine qu’aucune cloison ne sépare de la salle. Ici aussi, la simplicité règne. De vieux placards suspendus au-dessus d’un plan de travail usé par les âges, quelques étagères chargées de boîtes de conserves et de pots en verre, un évier d’où s’écoule une eau si rare. Dos à moi, Joachim s’affaire à nettoyer les couverts de notre repas de la veille. Nous avons tout laissé en plan pour partir nous coucher, le laissant comme trop souvent débarrasser, ranger, laver. Cet homme qu’aucun de nous ne connaît vraiment est devenu le centre de notre vie, en une semaine à peine. C’est à lui que nous adressons nos questions, nos hésitations, nos plaintes, qu’il écoute sans jamais afficher la moindre émotion, mais témoignant toujours d’un calme sans pareil, que nous assimilons peut-être à tort à une forme de bienveillance.

Après tout, c’est par sa faute que nous avons tous trois fini ici, et sans doute le sait-il aussi.

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